Début du discours de Laurent Fabius, prononcé au Grand Quevilly. Devant plus de 2000 militants le soutenant, Laurent a exprimé ses idées, et sa vision de la politique. Rejettons derrière lui Karsher et martinet pour une république plus sociale : c'est l'avenir de nos services publiques, mais aussi de notre société qui est en jeu.
Dans un an à la même époque la France aura un nouveau Président. Une majorité parlementaire nouvelle se mettra en place. Le Premier Ministre soumettra son programme de législature à l’Assemblée Nationale. Le premier sommet européen de l’après-Chirac se réunira. Les premières décisions seront prises. Le calendrier est prêt. Il reste l’essentiel : gauche ou droite ? Et pour la gauche, qui et pour faire quoi ? C’est cela dont je veux vous parler ce soir, et, à travers vous, à tous les Français.
Je ne perdrai pas de temps, je ne gaspillerai pas d’énergie à décrire en détail le passif du pouvoir actuel. Il est connu, il est perçu au-delà même de nos frontières et il est vécu douloureusement par nos concitoyens. Il s’alourdit chaque jour un peu plus avec des comportements lamentables : amnistie pour les amis, scandales financiers en tous genres, coups tordus, insultes aux représentants de l’opposition qui sont aussi ceux de la nation, cohésion sociale en miettes, croissance faible, déficits explosifs. C’est un climat de fin de règne pour le clan qui, en 1995, a mis la main sur le pays. Une ambiance de fin de régime pour la Vème République affaiblie comme jamais. Les Français en ont assez. C’est bien autour du changement que se joueront les élections de 2007. C’est autour du changement – un vrai changement – que la gauche devra convaincre. C’est
autour du changement – mais vers la violence – que l’extrême droite, silencieuse et toujours dangereuse, mènera la bataille. C’est autour du changement que M. Sarkozy médiatisera sa
propagande pour la France d’après, alors qu’il est co-responsable des graves difficultés de la France d’avant et de maintenant. Et il poussera la supercherie jusqu’à parler de « rupture », lui qui depuis tant d’années est non seulement au pouvoir mais le pouvoir. Oui, supercherie. Un changement profond est réclamé par rapport à la politique actuelle ; et la droite voudrait nous faire croire qu’il pourrait être porté par le chef de cette majorité !
L’homme du Karcher et du charter, rebaptisé candidat du dialogue ! Le spécialiste des cadeaux fiscaux pour les plus riches, autoproclamé bienfaiteur du pouvoir d’achat des ouvriers et des employés ! Le recordman des déficits et de la dette métamorphosé en artisan du redressement ! Les violences contre les personnes miraculeusement réduites par celui qui depuis 4 années y échoue ! La réalité est que notre adversaire probable, celui qu’une majorité de Français trouvent inquiétant, M. Sarkozy, est d’abord M. Supercherie. Car le vrai projet de la droite, ce sont 3 idées simples et mauvaises. D’abord, le libéralisme économique sans limites, c’est-à-dire la précarité tous azimuts. Face à la mondialisation financière, face aux bouleversements économiques et sociaux, la droite n’a qu’une réponse : il faut davantage de précarité. Pour lutter contre la concurrence exacerbée, contre le dumping et les délocalisations, il faudrait réduire nos protections, abaisser notre niveau social et
démanteler les services publics ! Comme si les salaires et les retraites n’apportaient pas du pouvoir d’achat, nécessaire pour la croissance et pour la justice ! Comme si les services publics et ceux qui les font vivre au quotidien, dont la droite fait sa cible, n’étaient pas un investissement dans la connaissance, dans la santé, dans la sécurité ou dans les transports !
Comme si l’homme devait être au service de l’économie, plutôt que l’inverse. La deuxième idée maîtresse, c’est le communautarisme. Pour les libéraux, l’Etat doit reculer partout. Une fois l’Etat marginalisé, il reviendrait aux « communautés » de prendre le relais. Ce n’est pas un hasard si ces libéraux sont souvent aussi des communautaristes. Ils se prétendent apôtres des libertés et c’est vrai qu’ils en prennent avec la laïcité ! Nous respectons les religions ; mais ils voudraient, eux, que les autorités religieuses soient peu à peu chargées d’assurer le calme dans les quartiers. Il voudraient que pour l’enseignement, le confessionnel prenne le pas sur le service public ! Nous n’accepterons pas, nous, que le communautarisme se substitue à la République. Libéralisme, communautarisme, atlantisme. Puisque l’inspiration de M. Sarkozy vient des conservateurs américains, la politique étrangère doit aller avec. En Europe, il voudrait substituer au couple franco-allemand une sorte de directoire avec la Grande-Bretagne et la Pologne. On voit à quel genre d’expédition ce type d’alliances nous conduirait ! Se profile un élargissement indéfini de l’Union, transformée en zone de libre échange sans règles sociales ni volonté politique autonome ; avec en fond de paysage l’unilatéralisme américain et la PROJET 3 domination de l’OTAN que ni F. Mitterrand, ni L. Jospin, ni moi n’avons jamais acceptée.
Choisir cette voie, ce serait tourner le dos à ce que j’appelle l’Europe-levier, à la France universaliste, au monde pacifique et progressiste dont nous avons un si pressant besoin, à
l’internationalisme qui est la vraie réponse à la mondialisation libérale. La France doit rester indépendante, l’Europe doit devenir puissante : telle est notre feuille de route parce que là est
notre identité, notre volonté, notre histoire et notre destin.
Chers amis, le projet de société que nous portons, que je veux porter pour le PS et pour la gauche, est à l’opposé de celui-la. Au libéralisme, j’oppose la solidarité durable ; au communautarisme, la laïcité républicaine ; à l’atlantisme, la volonté européenne. Je refuse donc, comme beaucoup de militants socialistes anciens ou nouveaux, une campagne de confusion où notre porte-parole, l’oeil rivé sur les sondages, s’efforcerait de coller à l’ensemble des aspirations dans le cadre d’un discours en zigzag, ajoutant selon les moments et les endroits des mots de droite à des adjectifs de gauche et inversement. Les Français ne sont pas des parts de marché, le suffrage universel n’est pas l’audimat. Je souhaite une campagne de différenciation assumée et de convictions claires, qui permette un vrai choix aux socialistes d’abord, puis à l’ensemble des Français.
C’est le pari que fait notre projet et c’est pourquoi je me sens en phase avec la politique qu’il contient. Un projet de gauche pour une stratégie de gauche. J’en ai moi-même proposé le
titre : « réussir ensemble le changement ». Ce sera un excellent mot d’ordre pour notre campagne, partout en France.
« Réussir ». On peut gagner des élections sur un rejet ; mais on ne peut « réussir » que sur un
projet. Or, nous devons réussir pour répondre à l’attente d’abord des Français modestes, fragiles, et les satisfaire dans la durée. Tirons les leçons de l’élection manquée de 2002. Parlons de la France, parlons à la France, aux ouvriers, aux employés, aux agriculteurs, aux artisans, aux entrepreneurs, à la France des jeunes et des retraités, du service public et du secteur privé, aux cadres, aux sans-emploi, aux créateurs et aux chercheurs.